Le Début du Plan
La nuit était déjà tombée depuis bien longtemps sur Pré-au-Lard, recouvrant d'un épais voile noir sans étoile le village et ses alentours. Quelques bruits singuliers et étranges venaient perturber le calme si propre à un soir de rentrée scolaire, mais rien de réellement inhabituel. Madame Rosmerta avait vieilli, mais elle nettoyait toujours avec autant d'attention les fenêtres de ses célèbres Trois Balais, en marmonnant en silence des critiques envers ce Proprubec, soi-disant nettoyant magique qui semblait faire doubler les tâches à chaque passage d'éponge. De son côté, Abelforth Dumbledore, plus ridé que jamais – mais toujours fidèle à lui-même – semblait s'appliquer à recouvrir d'une épaisse pellicule de poussière ses tabourets et ses chaises, de façon à dissuader tous ces sacripants d'élèves de venir trainer dans son bar. Enfin, la boutique Zonko, depuis longtemps rachetée par les magasins Weasley, Farces pour Sorciers Facétieux, s'attelait à décorer ses vitrines d'objets tous plus colorés. Ils savaient pertinemment que les premiers coups d'œil valaient souvent des clients, surtout quand ces clients étaient des petits écoliers de treize ans, parfois même nés-moldus et qui n'avaient donc aucune connaissance des boîtes à flemme, des frisbees à corps de limace ou même des Pétards Mythiques de la Molly Colérique, véritable merveille. Pourtant, quelque chose qui contrastait entièrement avec les habituels soirs de rentrée scolaire était en marche, une chose qui n'avait pas eu lieu d'être pendant ces vingt-cinq années de paix et d'apparente tranquillité. Et tout cela commença par un bruit, une seul bruit. Un « pop ! » sonore.
Au milieu de la Grand-Rue de Pré-au-Lard, nappé dans la pénombre et les ténèbres, un homme venait de sortir de nulle part. Ses cheveux étaient très longs, d'une blancheur grisâtre, et tombaient jusqu'au creux de son dos. Sa barbe quant à elle, drue, et d'une couleur identique, plutôt que lui donner un air chaleureux, ne faisait qu'accentuer son austérité. Il leva les yeux au ciel, puis se mit à regarder, au loin, le château qui s'élevait et dont quelques rares fenêtres étaient éclairées. Un sourire vint alors s'inscrire sur son visage marqué par les rides, et il se mit à marcher, sa longue robe et sa cape, d'un vert sombre, ondulant à chacun de ses pas, et s'appuyant sur un long bâton noir.
A mesure qu'il avançait et approchait, d'autres « pop ! » retentirent autour de lui, et il fut bientôt rejoint par une vingtaine d'hommes et de femmes, tous vêtus de noir, cette fois. Sans dire un mot, le visage tendu par la concentration et sans doute une certaine appréhension, la procession continua sa progression et finit par atteindre le grand portail de fer noir, entouré de deux statues de pierre représentant des sangliers ailés. Ce ne fut qu'à ce moment-là que les premières paroles furent échangées.
– Maître, vous êtes sûr que c'est une...
– Une quoi, Wayne ? Une bonne idée ? Insinuerais-tu que mon plan ne se base que sur de futiles suppositions qui nous feraient courir à notre perte ? A moins que tu ne laisses supposer que mes pouvoirs sont bien trop insuffisants pour entreprendre ce que nous nous apprêtons à faire ?
– Non, Maître, non, bien sûr, non. Ce n'est pas ce que je voulais dire, je pensais simplement que... Pardonnez-moi.
– Le pardon viendra plus tard, mais sois certain que tu subiras le juste châtiment de ton impertinence. Pour l'instant, placez-vous tous, selon ce que nous avons convenu.
L'homme parlait avec une voix basse, mais glacée, sifflante comme un serpent. Tous dans l'assemblée le craignaient avec une égale grandeur à laquelle ils l'admiraient. Car celui qu'ils avaient l'honneur de servir, qui était venu les trouver et leur proposer de faire partie de ses fidèles, était d'une grandeur incommensurable, une gloire éternelle et atemporelle, mais, surtout, d'un pouvoir plus grand que tout ce qu'ils avaient eu l'occasion de côtoyer, eux, et leurs parents ou leurs grands-parents également, plus grand encore que celui qui s'était lui-même nommé « Seigneur des Ténèbres », alors qu'il ne possédait qu'une infime part de cette immense puissance qui se dressait devant eux. Le voilà, le véritable Seigneur des Ténèbres, le voilà, le seul et unique sorcier capable de faire se dresser les éléments, de leur offrir la véritable place qu'ils méritaient, d'amener l'avènement de la pureté du sang.
– Le temps est venu pour le monde, plus de mille ans après qu'il les ait oubliées, de se souvenir des paroles que j'ai prononcées et des promesses que j'ai faites, et de trembler.
L'homme se mit alors à exécuter une série de gestes avec son bâton dont l'extrémité se mit à scintiller d'une lueur mystique, tout en psalmodiant une longue incantation dans un léger murmure. Ses longs doigts aux ongles crochus et aiguisés se mirent à danser dans l'air, tandis que, étrangement, le vent semblait s'alourdir et onduler en fines spirales.
Le rituel dura plusieurs minutes pendant lesquelles il garda les yeux fermés et que ses fidèles, eux, le contemplaient de ce même regard mêlant admiration et effroi. Enfin, alors que la nature toute entière semblait s'être éteinte, que les hiboux avaient cessé de hululer et que le vent avait arrêté de faire onduler les arbres, pour regarder ce que ce personnage qui n'avait plus mis les pieds ici depuis si longtemps était en train de faire, le vieil homme s'arrêta, baissa les mains, et sourit. Il resta alors là, à contempler le château de Poudlard, au loin, qui s'élevait fièrement, puis se retourna.
– J'ai conçu ce château, et la Chambre des Secrets n'est pas la seule merveille que j'y ai laissée. Ce soir, Poudlard deviendra enfin l'école qu'elle aurait dû être. De la même manière que ce sortilège que nous avons mis en place, il y a si longtemps, empêche les transplanages, il sera impossible de franchir cette barrière invisible à quiconque n'aura pas eu ma permission.
Sa voix semblait encore plus sifflante qu'à l'ordinaire, à mesure que la satisfaction le gagnait. Enfin, il reprit.
– Avant même que le reste du monde ne soit au courant de mon retour et de mes revendications, avant même qu'il ne s'agenouille devant moi, il est... Vital, que je reprenne possession de ce qui m'est dû. Poudlard n'est bien entendu qu'une infime partie des objectifs que je me suis fixés, mais en prendre le contrôle sera la première étape qui mènera à l'avènement des Sang-Pur, et à l'Âge d'Or des Sorciers. Quant à vous, mes fidèles alliés, il est temps que vous alliez sortir de leur lit ces imbéciles qui se prétendent dignes d'enseigner dans mon école.
Environ la moitié des personnes présentes s'inclinèrent devant leur chef puis traversèrent quelque chose qui ressemblait à un voile invisible.
– Quant à vous autres, faites en sorte que le monde sache ce qui est en train de se produire à Poudlard, ou plutôt devrais-je dire ce havre à Sangs-de-Bourbe qui a terni mon école.
Les dernières personnes s'inclinèrent puis firent volte-face, tournèrent sur elles-mêmes pendant une fraction de secondes, avant de disparaître dans un « pop ! ».
Le vieil homme se retrouva donc seul, de nouveau. Une fois encore, la nature semblait s'être éteinte, le regardant, lui, cet être d'un autre âge. Son Héritier avait été proche du but, mais cette quête de l'immortalité qu'il avait lui aussi menée, autrefois, avait fini par précipiter sa chute. Pire encore, il avait été suffisamment sot pour libérer la créature de la Chambre et la laisser se faire tuer. Mais c'était terminé, à présent, car il était de retour, plus grand, plus puissant, et plus sage que jamais. Lui, avait su tromper la mort, pas la retarder en enfermant son âme dans de vulgaires reliques.
Maintenant que ses pouvoirs étaient proches de leur apogée, qu'il était à deux doigts d'obtenir cette divine omnipotence qui lui était due, il savait qu'il ne pouvait permettre à quiconque de s'opposer à lui. Le monde sorcier serait son royaume, il en serait le seigneur, il en serait la déité suprême, et les Moldus, eux, seraient ses serviteurs... Pour cela, il suffisait que tout aille selon les plans qu'il avait passé tant de temps à mettre au point. Cette quête menée depuis plus de mille ans était à deux doigts de son dénouement, si proche de la fin qu'il était certain de pouvoir l'effleurer du bout de son bâton. Mais pour que tout aille pour le mieux, pour qu'il puisse transmettre la crainte au monde et annoncer son retour, il lui fallait rester dans l'ombre et les mener sur une fausse piste. Et, en cela, il devait bien reconnaître que son Héritier avait été utile. Il fallait leur jeter de la poudre aux yeux, tout en instillant la crainte et en faisant rejaillir ses idées. La voilà, la seule et unique solution, le Cheval de Troie parfait.
Prenant une ultime inspiration qui sembla galvaniser ses forces, lui qui se souvenait de tant de choses vécues ici, qui se rappelait des buts qu'il avait eus au moment de l'établissement de Poudlard, des raisons qui l'avaient poussé à s'associer à Gryffondor, Poufsouffle et Serdaigle à l'époque, il eut un immense sourire qui fit naître une aura sombre autour de lui, semblable à un serpent de fumée noire ondulant autour de sa robe. Enfin, Salazar Serpentard leva son bâton vers le ciel, concentra sa phénoménale énergie magique, et la relâcha d'un seul coup, incantant cette formule mise au point par son héritier et qui lui permettrait de lancer son plan:
– Morsmordre !